728x90 AdSpace

  • Articles récents

    lundi 9 juin 2025

    Alger au lendemain de la conquête française

     

    l'Algérie, Nation et Société, Mostefa Lacheraf, 1965


    Sens d’une révolution :  Résistance urbaine et lutte nationale depuis 1830 

    In l'Algérie, Nation et Société, Mostefa Lacheraf, 1965


    Alger, au XVIIIe siècle, comptait 75.000 habitants (1). Dans les premières années de l’occupation française elle en avait 60.000, dont 25.000 musulmans et 5.000 israélites, c’est-à-dire 30.000 Algériens, la différence étant représentée par l’armée d’occupation et les Européens nouvellement immigrés. Le reste avait pris de chemin de l’exil (2). Aristide Guilbert explique la main-mise du gouvernement français sur les propriétés sises à Alger, par « les représailles de la guerre et la fuite d’une partie de la population ». En 1831, précise-t-il, « sur un total de 5.000 immeubles, 3.000 appartenaient à l’Etat». 

    Ces expropriations portent un premier coup assez dur à tous ceux qui vivaient du loyer de leur maisons. « La misère des propriétaires maures, écrit Lespès, dont la plupart expropriés sans avoir touché les indemnités qui leur étaient dues, se trouvaient réduits à la mendicité...» Un autre historien d'Alger, Rozet, parle des fréquentes déprédations auxquelles se livraient les soldats, démolissant les maisons inoccupées, enlevant portes et croisées, coupant les arbres fruitiers pour se chauffer.

    De son côté, Augustin Berque, après avoir parlé du déclin de la vie artisanale qui avait été assez prospère à Alger avant 1830, écrit: « Nouveau facteur mortel à la bourgeoisie qui vit de ses revenus : la hausse de la vie, dès 1830, consécutive à la multiplication de la monnaie et des signes monétaires... Nous importons en Algérie un appareil monétaire considérable. D chasse bientôt l’argent local, d’autant que celui-ci sera déclaré sans valeur libératoire... (3) 

    Aux expropriations, aux destructions, à l’agonie de l’artisanat, au retrait de la monnaie algérienne, et à la vie chère, va s’ajouter une autre catastrophe qui affectera la classe la plus nombreuse : celle des commerçants. Le «Tableau des Etablissements français en 1838 », cité par Augustin Berque, nous renseigne à ce sujet et résume comme suit la situation générale qui était faite aux citadins algériens : « La survenance et l’accroissement d’une population européenne ont porté dommage au commerce... Déjà, l’éloignement du plus grand nombre des riches musulmans avait singulièrement diminué les ventes et les profits ; la démolition pour alignement et élargissement des rues, renchérissement des loyers, ont porté une atteinte plus rude encore aux marchands indigènes.» La population algérienne de la capitale ira en décroissant au fur et à mesure des progrès de la conquête et de l’afflux des colons ou des aventuriers qui faisaient antichambre à Alger avant d'obtenir une concession de terres. 

    Comme on l’a vu, la condition économique d’une population autochtone fortement compromise par les séquestres et les malheurs de la guerre, suivait, elle aussi, le sens de la régression démographique. En 1835, La Rochefoucauld-Liancourt constate « que la population maure est réduite à la moitié de ce qu’elle était avant la Conquête », mais, deux ans auparavant, un haut fonctionnaire de l’administration civile d'Alger, le baron Pichon, dont le témoignage fait autorité et nous paraît plus valable que le premier, affirme que la ville a déjà perdu les 2/3 de sa population algérienne. Commentant à sa façon ces deux témoignages, Berque ajoute en conclusion: 

    « En toute objectivité un fait reste indéniable : l’élément le plus riche a abandonné la capitale. Et cet exode est fort important ailleurs (4) » 

    En 1846, le médecin en chef de l’Armée d’Afrique, Marius Nicolas Paul, nous permet de suivre cette courbe régressive sur plusieurs plans et nous donne, 16 ans après la prise d’Alger, une idée de ce qu’était devenue cette capitale touchée providentiellement par la « civilisation » : « Tout ce qu’on voit ici en arrivant, écrit le médecin Paul, est fait pour attrister le coeur : une population indigène réduite au dernier degré de la misère..., une foule innombrable de prolétaires affamés de tous les pays ; des industriels qui cherchent à exploiter les arrivants ; le laisser-aller de tout le monde, militaires ou bourgeois : tout cela s’éloigne bien des moeurs polies et paisibles de nos villes de France.» Et il ajoute : « Les maisons mauresques, si bien arrangées pour y respirer un air frais et pur, disparaissent chaque jour ; la fièvre de construction s’est emparée des spéculateurs...(5).» 

    A peu près à la même époque, Poujoulat notait dans son Voyage en Algérie: « Il se passe d’étranges choses dans les yeux, sur le front sévère de ces Arabes, témoins muets de notre établissement, de nos triomphes... Il y a des mystères de mépris, de douleur et d’ironie sur ces fronts... Ces hommes m’apparaissent comme des Jérémies pleurant la chute d’Alger etl’invasion étrangère.» 

    Mais cette population dépossédée, acculée à la misère, tenue systématiquement à l’écart des entreprises nouvelles, n’est pas toujours inerte. Elle réagit ; elle entretient des relations secrètes avec les résistants ruraux, s’informe de ce qui se passe au-delà de ses murs dans le pays en guerre, ne craint pas de se réjouir des succès de I’émir Abd el-Kader et de le renseigner, à l’occasion, sur les projets d’expéditions militaires dirigées contre lui. Les « mystères d’ironie », dont parle Poujoulat, ne sont pas que des mystères. L’art populaire ne ménage pas, dans ses manifestations naïves, l’armée occupante. En effet, les représentations publiques de Karagöz, ou théâtre d’ombres, constituent généralement une satire de l’occupation étrangère. « Observée en 1835, écrit Maxime Rodinson, cette forme d’art dramatique populaire servait à critiquer le régime colonialiste.  Le soldat français y apparaissait et était invariablement roué de coups (6). » Ce genre de spectacle qui devait d’ailleurs être interdit par l’autorité militaire française en 1843, n’en continua pas moins à divertir, clandestinement, les Algérois. Des scènes pareilles ne se produisaient pas seulement dans la fiction et devant les spectateurs amusés. Dans la réalité, aussi, comme le rapporte Camille Rousset, « des officiers étaient attaqués la nuit dans les rues d ’Alger (7) ». Ce même historien nous parle de l’attitude dédaigneuse des habitants d’Alger qui se trouvaient mêlés, malgré eux, aux réjouissances par lesquelles les occupants célébraient une victoire ou fêtaient un anniversaire. Nous trouvons d’autre part, chez Rousset, des indications curieuses sur une grève qui avait été déclenchée par les commerçants algérois au cours de l’automne de 1830. « Depuis le départ du corps expéditionnaire (contre les villes de Blida et de Médéa), écrit-il, jusqu'à son retour, les marchés d’Alger avaient été déserts. » Et cet historien conclut : « Ceux des indigènes qui n ’avaient pas pris les armes contre les Français, auraient eu honte de trafiquer avec eux (8). » De son côté, Poujoulat, qui voit tout, s’exprime en ces termes, quinze ans plus tard : « Il y a de la tristesse dans ces étroites rues... où nulle figure indigène ne vous sourit. » Puis il ajoute héroïquement : « Mais il faut en prendre son parti avec les vaincus. »




    1. Aristide Guilbert: Colonisation du nord de l’Afrique. Ed. Paulin, 1839. Dans son livre sur l’Algérie avant 1830, Laugier de Tassy donne le chiffre de 100.000 h. 

    2. Dans un livre publié en 1841 : Les Français en Algérie, Louis Veuillot écrivait: « Pour nous combattre, les Maures ont quitté en foule Alger, où beaucoup d’entre eux étaient misérables en grande partie par notre faute.» 

    3. Augustin Berque : La bourgeoisie algérienne. In revue Hesperís, t. XXXV, 1948. 

    4. A Berque, op. cité. 

    5. Campagnes d'Afrique : 1835-1848 : M. N. Paul. 

    6. M. Rodinson : Le théâtre d’ombres oriental. In Les Lettres françaises du 20 août 1953.

    7. Camille Rousset : L'Algérie de 1830 d 1840. T. 1.

    8. C. Rousset : op. cité.

    Next
    This is the most recent post.
    Article plus ancien
    • Blogger Comments
    • Facebook Comments

    0 comments:

    Enregistrer un commentaire

    Item Reviewed: Alger au lendemain de la conquête française Rating: 5 Reviewed By: Algeria Gate
    Scroll to Top