Je suis né le 20 janvier 1928, à Alger, septième enfant d'une famille de treize gosses. J'ai suivi l'école primaire jusqu'au certificat d'études. A quatorze ans, j'aidais mon père, qui tient un commerce à Alger.
En 1944, je travaillais au dépôt des isolés (caserne) à Alger, comme secrétaire-copiste au bureau des embarquements. J'appris rapidement que quelques locaux de cette caserne servaient aussi de prison à un certain nombre de Musulmans algériens détenus pour insoumission à l'armée. Parmi eux se trouvaient des militants nationalistes avec lesquels je pus clandestinement prendre contact et m'entretenir aussi souvent que possible.
Ils me chargèrent plusieurs fois de transmettre des messages adressés soit à leurs familles, soit à des militants responsables habitant la Casbah.
C'est notamment au contact de ces derniers que, pour la première fois, se posa pour moi, concrètement, le problème politique de mon pays. A ce moment-là, ce fut l'une des raisons qui m'amenèrent à donner mon adhésion au P.P.A. (Parti du Peuple Algérien).
En 1945, je participais à la manifestation pacifique du 1 Mai, à Alger, qui avait pour but d'exprimer l'attachement des Algériens à l'idéal d'indépendance nationale. La police tira sur le cortège qui s'engageait rue d'Isly. Le jeune porte-drapeau fut abattu froidement. De nombreux blessés tombèrent à côté de moi. Quelques jours après, je me rendis compte que les soldats permissionnaires en instance de départ pour la France étaient bloqués à Alger, puis acheminés sur le Constantinois où la répression faisait rage au lendemain du 8 mai, jour de la victoire sur les Nazis. La manifestation nationaliste du 8 mai n'avait pas eu d'autre but, pourtant, que d'associer les Algériens à la fête de la paix mondiale, — et de marquer leur volonté de prendre part à la victoire des alliés par l'accession de leur pays à l'indépendance.
Au bureau, je fus l'objet de vexations racistes. Écœuré, je quittais mon emploi sans avertissement.
A partir de ce moment, je me mis à prendre part activement au mouvement nationaliste (collecte de fonds, propagande, tournées électorales, contrôle des bureaux de vote, etc.).
En 1947, je fus muté à l'O.S., l'Organisation Secrète (Spéciale, ndlr). Mon action politique se transformait en préparation militaire, action armée. Je fus promu chef d'une dizaine d'hommes (groupe de la Casbah). Mon rôle était celui d'instructeur militaire. Me servant du manuel du gradé, je pratiquais surtout les conseils et exercices de la guérilla. Nous nous entraînions sur un terrain vague et accidenté, à Maison-Carrée, à Fontaine-Fraîche... Jet de grenades (fausses), embuscades, sauter, ramper, etc...
En 1950, dissolution de l'O.S. Je ne repris pas le travail politique. Déçu par l'abandon de la préparation de l'action armée, je partis pour la France...
En 1952, retour à Alger, j'installais une boulangerie et je pris en mains les intérêts de la famille.
Avec la crise du M.T.L.D. (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) et la scission, je ne pouvais plus rester indifférent. Comme la plupart des anciens membres de l'O.S., je ne voulais pas prendre parti pour l'un ou l'autre clan. L'essentiel, c'était de ressouder le mouvement en vue de l'action, l'union étant l'une des garanties de son succès.
Début octobre 1954, je pris contact avec Zoubir Bouadjadj qui était responsable de l'O.S. pour le secteur Redoute-Clos Salembier-Birmandreis-Ruisseau-Belcourt. Je fus chargé de constituer des groupes pour un réseau de réserve. Les groupes d'action étaient déjà prêts pour le déclenchement d'une action de grande envergure et imminente. Zoubir m'informa qu'il participait avec ses hommes à l'opération (1 novembre 1954). Je devais me tenir prêt à le remplacer en cas d'arrestation et je serai contacté directement par son chef qui était Rabah Bitat, responsable pour l'Algérois.
Zoubir revint me voir trois jours avant le 1 novembre. Nous nous mîmes d'accord sur les modalités de notre travail, notamment de la liaison indirecte par le mot de passe. Au lendemain de l'insurrection, Zoubir m'apporta des proclamations, tirées en tracts, informant le peuple algérien de la naissance du F.L.N.
Le 6 novembre 1954, Zoubir fut arrêté avec son groupe, ainsi que Belouizdad, Merzougui, Kaci Abdallah Mokhtar, Kaci Abdallah Abderrahmane, Guesmia ...
Je me trouvais donc seul à Alger avec mon groupe composé d'hommes n'ayant jamais milité nulle part, mais courageux et passionnément anticolonialistes. Mon premier travail fut le recrutement, l'achat d'armes et d'effets militaires, en prélevant les sommes nécessaires sur mes économies. Cette activité préliminaire entretint l'enthousiasme des jeunes dockers et ouvriers du port, particulièrement sensibles à la double pression de la misère et de l'injustice.
Mon premier secours, je le trouvai auprès de mon beau-frère Bouzerina Arezki, dit Hédidouche. C'était un homme discret mais dynamique. Très populaire dans les milieux nationalistes, syndicalistes et sportifs, il allait devenir la cheville ouvrière du F.L.N.
Ancien militant du P.P.A. et du M.T.L.D., président en exercice du syndicat des marchands de légumes, il avait dirigé plusieurs grèves victorieuses des marchés. Comme président d'une société omnisports, il avait une autorité réelle auprès d'une large fraction de la jeunesse.
Vers la fin du mois de novembre 1954, je fis la connaissance de Bitat par un curieux hasard. Après l'attaque de la caserne de Blida, il était venu à Alger où il se trouvait isolé. Un ancien de l'O.S. lui proposa de se réfugier chez moi, l'un comme l'autre ignorant mon rôle. Le mot de passe établi avec Zoubir avait été communiqué à Mourad Didouche qui devait le communiquer à Bitat. Cela ne put se faire, Didouche étant parti pour le Constantinois. Après de prudentes conversations avec Bitat, nous nous comprîmes et il me chargea de retrouver la trace de ses adjoints Souidani et Bouchaïb, responsables de la Mitidja. Je lui présentai Hédidouche. Il lui fut confirmé de poursuivre le plan de travail envisagé et d'y ajouter la collecte de fonds. Le premier versement qui fut fait se montait à une somme de 7 500 francs (anciens).
En décembre 1954, Bitat me chargea à nouveau de retrouver la trace de Krim et de Ouamrane. Je les vis pour la première fois chemin Vauban, à Alger, dans une épicerie. Après les explications nécessaires, je les conduisis chez moi, où se trouvait déjà Bitat. Durant trois mois, ma maison servit en permanence de P.C. pour l'Algérois et la Kabylie.
Pendant cette période, je rétablis le contact avec El Hakim (Ben M'hidi) à Marnia, et avec le docteur Lamine qui vint directement au 3, rue des Abderames pour rencontrer les dirigeants de l'intérieur.
Vers la fin février 1955, ce fut au tour d'Abbane, récemment libéré de prison, de me joindre à la boulangerie ; de là je le conduisis à mon domicile, auprès de Bitat, Krim et Ouamrane.
En raison de mes déplacements devenus fréquents, nous étions convenus de transférer l'état-major dans un appartement à la Scala, sur les hauteurs d'Alger.
Quelques jours après, Bitat fut victime d'un guet-apens policier et arrêté le 16 mars 1955, à 9 heures du matin, dans un café maure de la rue Rempart-Médée, à Alger. L'indicateur de la police, connu sous le nom d'El-Djoudan (l'adjudant), avait réussi en décembre à prendre contact avec Bitat. C'était un ancien permanent du M.T.L.D., qui prétendait avoir échappé à la police d'Oran après avoir été torturé. Lorsque Ben M'hidi, alors responsable de l'Oranie, demanda de faire acheminer les armes déposées en Tripolitaine, Bitat chargea El-Djoudan de prendre contact avec lui pour obtenir des précisions. Ben M'hidi lui fit part de la mauvaise impression laissée par l'émissaire. En effet, la police connut par l'agent double le rendez-vous fixé entre Bitat, Krim et Abbane, mais l'endroit choisi par Krim chez un laitier rue N'Fissa à la Casbah, ne convenait pas à la police, car la disposition même des lieux rendait impossible l'installation d'une souricière.
Au second rendez-vous, Bitat se rendit seul et fut arrêté. La police perquisitionna aussitôt à la boulangerie et à mon domicile où il n'y avait personne..
Comme je me rendais à la maison en compagnie de Krim, ma mère, qui attendait devant la porte, nous informa du passage de la police. J'entrai dès cet instant dans la clandestinité.
Le 1 mai 1955, je partis pour Paris. J'avais mission de rejoindre en Suisse l'un des dirigeants du F.L.N. à l'extérieur, Ben Bella ou Boudiaf. Ce fut Boudiaf, avec lequel je pus alors régler diverses questions d'organisation qui nous préoccupaient à l'intérieur. A Zürich, je fus arrêté avec Boudiaf et Mahsas.
Après dix jours de captivité, la police suisse nous relâcha en nous raccompagnant jusqu'à l'avion choisi. En ce qui me concerne, j'atterris à Bruxelles. Après une vaine tentative d'embarquement clandestin à Anvers, sur un cargo en partance pour Tanger, je fus découvert et la police belge m'expulsa du territoire. Je décidai alors de rentrer à Alger via Paris, où la police réussit à m'arrêter dès mon arrivée.
Transféré à la D.S.T. d'Alger, j'entrepris de minimiser mon rôle en plaidant la fameuse «contrainte du F.L.N. ». La police me libéra trois mois plus tard avec la conclusion d'un «marché» : faire arrêter Krim. Auparavant, je réussis, de la prison, à faire part des conditions de ma possible «libération» à mon beau-frère Hédidouche qui était en contact avec Krim et Abbane.
C'était, en effet, Hédidouche qui, depuis mon départ pour l'étranger, me remplaçait à la tête de l'Organisation d'Alger. Une fois informé, Hédidouche me donna le feu vert. En outre, dès ma sortie de prison, j'allais moi-même mettre au courant Ouamrane, avec qui je pus m'entretenir à deux reprises en vingt jours, dans son refuge du maquis.
A mon retour du maquis, je m'entendis avec Hédidouche pour reprendre en main mon ancien groupe et le compléter par un recrutement plus large.
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